merde. {naree}

Les lumières tantôt tamisées tantôt assez fortes pour me brûler la rétine enveloppe mon corps d'un halo particulier. Les mecs ne m'approchent pas beaucoup, je suis le genre de fille qu'on ose pas aborder, qu'on stalke de loin parce qu'on n'a aucune chance. Quelques uns prennent leur courage à deux mains et je danse avec eux comme si j'étais possédée par le diable lui-même, le rire au bord des lèvres. Ce soir, je suis un petit démon. Et puis, mon ami finit par me faire signe, il veut un verre, alors je le suis et j'en prends un aussi. Quelque chose de fruité, parce que l'alcool et moi ça fait deux et que je vais encore finir sous la table si je fais pas attention. J'ai déjà les joues rougies par mon premier verre et la danse, j'ai pas envie de rentrer en roulant non plus. Je prend mon ami par la taille et il me raconte des blagues, comme d'habitude. Je finit par le suivre, mon verre à la main, jusque dans le couloir devant les toilettes. Et puis, comme j'aime pas attendre, je me dis que je vais aller prendre l'air, voir s'il y a pas quelqu'un à qui je pourrais tenir le crachoir cinq minutes. Le rire toujours au bord des lèvres, je manque de me casser la figure en troquant l'air moite et les néons rouges contre l'air froid de la nuit noire. Et puis, je me tourne vers la droite, je le vois, assis là, la clope aux lèvres, l'insulte sur le bout de la langue, et je me fige subitement, toute traces de mon soupire s'évaporant. J'en lâche mon verre qui s'éclate sur le bitume, éclaboussant mes jambes nues au passage. Mon visage perds toute couleur et prends un air blessée. Parce que pour avoir mal, j'ai mal. Il était là depuis le début ? Il est jamais mort dans un caniveau finalement, il a pas non plus déménagé en Australie. Il était juste là, à m'éviter. Je fais un pas, puis deux en direction du banc, absolument pas sûre de ce que je dois faire, pour une fois. « j'suis pas prêt à jouer au psy alors... déblaye. » Le tigre me lacère le coeur avec ses mots. Et je pense vaguement, il était pas comme ça avant, il m'a jamais parlé comme ça. Comme si j'en avais quelque chose à foutre de ce qu'il était prêt à faire ou pas. Mon genou vient s'appuyer contre le banc. Pour être honnête, si je pouvais m'asseoir sur lui, le prendre dans mes bras, l'embrasser, là tout de suite, je l'aurais fait. Mais vu la sècheresse de ses mots, je me doutais que c'était trop demander. Je remets une mèche de cheveux derrière mon oreille et je l'observe sans rien dire un moment. Putain ce qu'il est beau. Et il affole toujours autant mon coeur qui papillonne dans ma poitrine. Et puis merde, c'est plus fort que moi. Je finis quand même par passer mes bras autour de son corps fin, par poser mon front sur son épaule en mordant mes lèvres, les yeux brillants. « j'suis désolée bae. j'suis désolée pour ce qu'il t'a fait. » Et je le suis, si j'pouvais revenir en arrière, effacer toute cette soirée, réparer les tords de mon frère, je le ferais. Et je me dis que je lui en veux pas d'avoir disparu comme ça, de m'avoir lâchée, alors qu'au fond ça me tue qu'il m'ait associée à mon frère comme la police, qu'il ait pu m'abandonner alors que j'aurais préféré me suicider que de lui faire la même chose à l'époque. Et je sais déjà que passé le moment de faiblesse, je vais lui en vouloir à mort, parce que personne m'a jamais abandonnée et que c'est encore plus dur que ce soit lui qui l'ait fait.

Il se recule, me repousse, je le lâche. Je le laisse m'échapper, encore une fois. Pourtant cette fois j'pourrais le rattraper, le garder contre moi, pour toujours peut-être. Mais ça fait tellement longtemps, c'est presque un étranger maintenant. Et s'il est resté tout ce temps loin de moi pour me repousser quand on se voit, ça me paraît évident qu'il se fout de ma gueule, qu'il veut plus de moi, qu'il m'a juste lâchée comme la conne que j'suis alors que j'avais essayé, j'avais essayer de toute mon âme de le protéger. « c'est bon arrête. » Et la colère monte, parce que même s'il fait battre mon coeur plus vite, même si j'le trouve beau à en crever sous les réverbères, même si je peux encore me souvenir de son parfum et de son plat préféré, j'peux pas supporter qu'on me parle comme ça. « ça devient minable. » Une grimace tire mes lèvres vers le bas. Il m'a complètement rayée de sa vie comme si j'étais rien et maintenant il me traîte comme ça. Si y a bien un truc que je risque pas d'accepter, c'est qu'on me prenne pour la conne de service. Parce qu'il me prend clairement pour sa petite chienne, le con. « ça date. j'en ai rien à foutre. évite de m'approcher tu veux. j'essaie d'me faire laetitia. et j'galère déjà assez comme ça. » Je le regarde jeter sa clope et se lever. Je le regarde dégager, comme le connard de service. Il a jamais été comme ça avec moi. Alors j'serais celle que j'ai jamais été avec lui. Pour lui. Parce qu'il faut bien que quelqu'un lui rappelle qu'il est pas le centre du monde, que les autres ont un coeur et qu'il a pas le droit de les écraser comme il détruit le million de clopes qui passent entre ses lèvres chaque jours. Alors je me lève aussi, rejetant mes cheveux en arrière. « yah ! bae ! »  Je cours presque pour l'arrêter, le prendre par le bras, l'obliger à se retourner. Et je lui remonte mon genou dans les parties intimes avant de lui en foutre une bonne dans la tronche. « comme ça tu pourras oublier laeticia, et m'écouter deux secondes. tu t'prends pour qui déjà ? depuis quand tu te sens plus pisser comme ca ? je suis pas ta chienne. t'es pitoyable putain. je sais même plus- » je sais même plus pourquoi j'ai le coeur qui fait mal à en crever. Pourquoi t'y enfonces des poignards avec tes mots. Pourquoi mes yeux s'embuent et les larmes roulent sur mes joues. J'ai envie de te frapper jusqu'à ce que tu meurs pour être aussi con, bae. Pourtant je me contente de me retourner, pour pas que tu me vois pleurer, parce que putain, tu mérites pas mes larmes. Je m'essuie les yeux avant de lui lâcher des mots douloureux. Qui me crèvent le coeur à moi-même. En espérant qu'ils déchirent le sien aussi. « moi aussi je m'en fous de toi. t'aurais pu crever dans un caniveau que j'en aurais rien eu à foutre. d'ailleurs c'est ce que je pensais que t'avais fait. »

Il se penche en avant, il a mal. Et c'est bien fait pour lui, me souffle la voix perfide dans ma tête. Pourtant, mon coeur lui, il me dit que j'veux pas qu'il souffre, surtout pas par ma faute. Mais il a tellement mal, aussi, mon coeur, que je peux pas faire autrement, je dois trouver une échappatoire, comme lui balancer mes mots tranchant à la gueule en essayant de retenir mes larmes de faiblesse. Parce que ça a toujours été lui ma faiblesse. Et j'en avais déjà pleuré des larmes, pour lui. Des torrents, des fleuves, des cascades de larmes que j'avais déversées, tantôt en secret, tantôt dans les bras de mes meilleurs amis, une fois même dans ceux de mon frère, qui m'avait regardé avec ses yeux douloureux, le genre de regard que j'voulais plus voir. « même bourré je finirais pas dans un caniveau...  pourquoi un caniveau d'ailleurs, hein ? » Il m'arrache un petit rire moqueur. Il est toujours aussi con au moins. Je commence à essuyer les quelques larmes ayant roulé sur mes joues, puis, il ouvre sa grande bouche. Encore. « bon... c'était un pari. que j'avais fais avec hanae. quoi. t'as vraiment cru que je t'aimais ? » Et la lame s'enfonce avec une lenteur exagérée dans mon organe vital tandis que le gémissement franchit mes lèvres. Chaque mot qu'il prononce me fait endurer mille morts. Et d'ailleurs, c'est la seule chose que je voudrais faire, là tout de suite, mourir. La douleur me balaie complètement, il me réduit en cendres avec dix pauvres mots. Et voilà, c'est ça le pouvoir qu'il a sur moi, bae. Il a le pouvoir de me réduire à néant rien qu'avec sa langue alors que je peux même pas le réduire au silence en le frappant. Je sais plus quoi faire, quoi dire, quoi penser même. Mais au fond, je sais qu'il a raison. Je revois la façon qu'il a eu de me remarquer subitement, je revois ce jour où il m'a raccompagnée chez moi alors que je le connaissais pas, je lui avais jamais parlé, j'étais rien pour lui. J'ai jamais été quoi que ce soit pour lui. Juste le nom d'un énième pari qu'il avait remporté haut la main. Un partie de moi rêve de le voir se faire foudroyer, là maintenant, devant mes yeux, de le voir disparaître. L'autre ne rêve que de fuir. Le fuir, fuir ses confessions à la con, ces certitudes que j'ai maintenant. Je revois chaque minute passée avec lui et je réalise comme j'ai été niaise de le croire, de lui faire confiance, de l'aimer. Puis, je me souviens du jour fatidique, de son visage où du sang perlait, de la furie de mon frère. Et ça me frappe en pleine poitrine. Mon frère savait. Comme si mon organe vital pouvait encore supporter plus de peine. Il savait et il m'avait rien dit. C'est pour ça qu'il l'avait frappé. La peine me coupe les jambes et je tombe par terre, m'écorchant les genoux nus et la main au passage. Mais je m'en fous. Je sens plus rien, rien d'autre de mon palpitant en miettes avec personne pour les ramasser. Je me rouler par terre, je veux frapper quelque chose ou quelqu'un, je veux qu'on m'éventre, qu'on me jette dans une rivière. Je veux me détruire, je veux plus exister. « dé-gage. » J'appuie avec insistance sur chaque syllabe, parce qu'à ce moment je suis incapable de penser clairement et je le hais, bordel, je le hais. Si j'avais pu, je me serais barrée en courant, je l'aurais plus jamais revu de ma vie, j'serais partie vivre à Rio pour plus le voir même.

J'arrive plus à réfléchir clairement, j'ai qu'une envie c'est qu'il déguerpisse de cette soirée et surtout, surtout, de ma vie. En quelques mots lancés dans le vent, il vient de ruiner ma vie. Il a anéantit toutes les certitudes que j'avais. Il m'a prouvé que l'amour n'existe pas, que je peux compter sur personne, croire personne, même pas mon frère. Il m'a montré qui il était réellement, et ce bae, j'le supporte plus. Son visage qui s'efface pas de mon esprit, ses sourires moqueur, ses mimiques, sa façon de parler et de se tenir, tout en lui m'énerve. « c'est bizarre, tu parles moins d'un coup. tu fais moins la maline... » Une grimace déforme mon visage et je trouve soudainement la force de me relever. Entre la rage et la tristesse mon coeur balance. Mais je suis pas triste pour bae. Je le hais bae. « même bourré je finirais pas dans un caniveau...  pourquoi un caniveau d'ailleurs, hein ? » Je lui fais face. Je m'approche de lui, en le regardant avec un air dégoûté que j'ai jamais arboré de ma vie entière, parce que d'ordinaire rien ne me dégoûte. Parce que j'arrive à voir la beauté partout, excepté dans l'âme noire et pourrie de bae. Il fait bien une tête et demie de plus que moi et pourtant, il me fait pas peur. Pas du tout. « Parce que personne prendrait la peine de te ramasser si tu tombais raide mort dans le caniveau là, maintenant. » Je crache mon venin en le regardant dans les yeux alors même que mes joues sont encore striées de larmes. Pourtant la douleur dans ma poitrine est tellement forte que je me sens incapable d'avoir une once de compassion pour ce trou du cul. Et puis, je le frappe, je le pousse, je crie, je me décoiffe. Parce que je lui ai dit de dégager et qu'il l'a pas fait. Parce que bae déteste les meufs hystériques. Parce que bae ne m'aime pas. Ma main claque contre sa joue puis son torse. « Fucking dickhead. You jerk. MORON. I fucking hate you, I swear if I see you again I'm gonna fucking kill you... Fucking. I fucking... Ah ! »Mon cri de rage se répercute dans la rue, faisant écho au son étouffé de la musique. Je reste un instant à le regarder, le souffle court, avant de lui passer devant pour courir vers la boîte. J'veux plus le voir. Je veux boire à en crever, baiser tous les mecs présents ce soir, me noyer dans une piscine de champagne et puis mourir, enfin. Parce que la vie sans amour et avec des cons pareil arpentant le monde, ça vaut que dalle.