lady daydream ☆ alice

elle est loin, la maison yeowang. elle est fatiguée, la petite daphne. mais pourtant, elle marche. en-dehors du chemin de graviers, gambadant dans l'herbe sèche de l'été, attirant les écureuils avec des petits claquements de langue. elle ne savait pas trop s'il y avait des écureuils en corée. on était pas à central park, après tout. elle supposait que oui. un rapide passage sur wikipédia le lui confirma. pourtant, pas un seul à l'horizon.

c'était bien dommage. surtout que son petit manège lui permettait de perdre un peu de temps sur son objectif. qu'elle cherchait à tout prix à retarder. alors, sous les regards interrogatifs des yeowang et de leurs fidèles dogsuli, elle installait de sophistiqués dispositifs afin d'attirer les petits rongeurs, à l'aide d'un bout de ficelle et d'une moitié d'oreo. c'était pas de sa faute. elle voulait pas la voir, sa soeur. ou plutôt, elle en avait pas le courage. elle préférait les écureuils.

ses piques mesquines. son regard accusateur. son visage parfait déformé par une moue moqueuse. elle n'y arrivait pas. elle lui en voulait tellement. et elle s'en voulait encore plus. si c'était elle la fille parfaite, la progéniture idéale, alors pourquoi elle la jalousait autant? elle, alice, aux milles expériences, aux milles conquêtes. elle la revoyait, la première fois qu'elle l'avait croisée dans les couloirs de haneul, resplendissant au milieu de ses camarades yeowang, les rendant aussi insignifiantes que sa petite soeur. quand daphne lui avait adressé un signe de la main, elle n'avait pas eu un regard pour elle. finalement, c'était bien avec alice qu'elle se sentait le plus elle-même. minuscule. quelconque. inintéressante.

et elle la détestait pour ça. pour tous ces samedis après-midi passés roulée en boule sur son lit, à broyer du noir, hésitant à envoyer ou non ce sms de réconciliation dégoulinant de bons sentiments à la soeur aînée. papa, il ne s'en souciait guère. tout ce qui l'intéressait, c'était ses mails professionnels et son match de baseball du dimanche soir. en plus, il ne lui parlait plus du tout. il "en avait assez de sa battre pour faire quelque chose de cette gamine", d'après ce qu'il disait. mais maman, elle pensait autrement. elle était fâchée contre elle, sans doute, ou du moins daphne l'espérait. mais ça lui faisait du mal de les voir déchirées comme ça. elle s'en apercevait bien. c'était normal. alors, au lieu de l'envoyer en courses, en ce week-end ensoleillé, elle est venue dans sa chambre. elle s'est assise sur son lit, comme à chaque fois qu'elle voulait lui dire quelque chose d'important. elle mâchonnait une mèche châtain clair, comme daphne quand elle était angoissée. elle lui expliqua à quel point elle était triste. triste de les voir se comporter comme deux inconnues. elle a dit que ce n'était pas mature de leur part. daphne, elle aimerait bien être mature, elle faisait déjà beaucoup d'efforts au quotidien. alors elle a accepté de faire ce que maman lui a conseillé. aller voir sa grande soeur. parler. échanger. et peut-être même se rabibocher. "se comporter en adultes".

elle était partante, daphne. tout ce qu'elle voulait, c'était que maman soit heureuse et fière d'elle. mais elle est pas très brave, daphne. elle peut pas y aller les mains dans les poches. alors elle vient avec un prétexte bidon. un coup de main pour le maquillage. comme si elle appréciait de se peinturlurer le visage. elle en aurait bien besoin, pourtant. mais elle laissait sa peau respirer. c'était bon pour son acné. le dermato l'a dit. elle a même apporté un kit complet de pinceaux et d'instruments en tout genre, prêtés par maman, dont elle n'a pas entièrement compris l'utilité. daphne, elle se courbait pas les cils, elle préférait attraper des magicarpe.

mais ça l'empêchait pas de flipper sa race. vraiment. elle voulait pas avoir cette conversation. mais pourtant, elle voulait tellement que tout redevienne comme avant. elle n'avait pas le choix. elle devait affronter la réalité. elle devait accepter leurs différences. repartir sur le bon pied. tant d'expressions d'adultes que maman lui avait répété sans arrêt depuis quelques jours. ça n'avait pas de sens. rien ne pouvait changer. le mal était fait.

et pourtant, elle était là, aujourd'hui. un peu mieux habillée que d'habitude, pour faire bonne impression. mais pas trop quand même, pour ne pas donner l'impression d'être sapée comme un sac le reste du temps. un sweat tout neuf. et un de ses chers vieux jeans. pas très différent de son accoutrement quotidien, en fait. avec sa tignasse brossée à la va-vite, ses poches sous les yeux et son sac à dos rapiécé, pas de doute, elle ne pouvait pas faire semblant de ne pas la reconnaître comme elle l'avait fait la semaine dernière, se croyant certainement hilarante.

elle chercha, longtemps. puis elle trouva. la porte de sa chambre. pauvre colocataire. alice devait lui faire la misère. elle leva son poing, se ravisa. une fois, deux fois. elle ne savait pas si elle devait le faire. si. non. elle hésitait. figée, elle donna trois petit coups secs sur la porte. une grande blonde aux yeux rougis. pas elle. elle s'excusa brièvement, et se déplaça d'une porte vers la droite. cette fois, elle toqua immédiatement. pendant quelques secondes, elle pria très fort pour qu'elle se soit absentée. mais non, ce fut bien elle qui lui ouvrit. elle ne savait pas quoi dire. elle jeta un coup d'oeil par-dessus son épaule, observant le désordre de sa chambre d'étudiante. vêtements sales en boule et magazines par terre. c'était encore pire que chez elle. hum. salut. elle évitait avec soin ses yeux enflammés, du haut de ses cinq centimètres en plus. c'était plus qu'une fierté. c'était la seule chose qui lui donnait du crédit face à elle. e-excuse-moi. je ne voulais pas te déranger. c'est juste que... elle avait bien du mal à trouver ses mots. ...une soirée. ce... soir. j'aurais besoin que tu m'aides un peu... pour le maquillage. enfin, si ça ne te dérange pas... elle n'était jamais invitée aux soirées, mêmes celles du club dont elle était la présidente, mais ça, c'était un détail. s'ilteplaîtmerci. elle s'attendait à tout. elle pouvait même être insultée, elle s'en fichait. c'était juste un mauvais moment à passer, et elle comptait bien s'en sortit. entière, si possible. elle entendait déjà les vannes douteuses partir, mais elle était motivée, daphne. plus que jamais.

musique à fond qui pète les tympans
ça doit faire un mois que j'ai pas rangé ma chambre,
blues des jours qui passent et se ressemblent.
j’ai pas vraiment réfléchi à ce que je ferai de ma soirée. sortir, rester, dormir, fumer, rendre visite à yûki, yunho, taejun, skylar… ? visages colorés, fréquentations de papier froissé.
toujours feindre la vie sociale ultra mouvementée
faire comprendre aux autres qu’ils méritent d’être méprisés.
le lecteur cd jaune poussin réchauffe un disque fraîchement gravé ( idées vagues tournées en sonorités )
coups à la porte, soupirs, c’est qui ? lancé à la volée.
et c'est elle.
ça m'fait bizarre d'ailleurs, parce qu'à part chez les parents j'la vois pas souvent, ça m'fait bizarre parce qu'on se parle pas vraiment, parce qu'elle est probablement jamais passée devant ma porte aux graffitis et aux stickers non-conformistes, aussi parce que j'l'ai jamais invitée.
e-excuse-moi. je ne voulais pas te déranger.
c'est juste que....une soirée. ce... soir.
surprise mais pas déçue.
y a comme un truc qui tapote mon coeur du bout d'un bâton.
parce qu'elle aurait pu demander à quelqu'un d'autre, une amie, une fille de sa classe, maman. mais non.
c'est à moi qu'elle demande.
elle patauge, elle perd équilibre sur elle-même, alors j'me lève, j'éteins la musique, je ferme les tiroirs encombrés de choses inutiles.
assis-toi là. elle m'arrache pas encore de sourire.
rien qu'un battement de cil, une certaine douceur un peu embarrassée dans la voix, et ce rien n'est pas tant rien, justement.
t'as d'la chance, j'avais rien à faire.
un peu dans une tentative de lui dire que ça change rien,
un peu dans une tentative de faire la pétasse froide
( ce que je suis un peu mais pas tant que ça
si elle savait )
en tailleur sur la chaise pivotante, je sors les pinceaux, j'évite de le regarder, pas maintenant, pas encore. l'air est chargé d'encens, la porte est fermée.
tu vas à quoi, comme soirée ? question de convention.
en réalité, y a quand même une certaine curiosité
de la surprise aussi, on va pas s'le cacher.