viens, on procrastine ▬ Sojra

L'idée avait quelque chose de séduisant.
A se laisser transformer par la demoiselle, le corps détendu, simplement offerte. Une occasion de plus de la revoir, loin de la gêne du premier contact. Sun Hee, peut être aussi qu'elle voudrait la redécouvrir dans un autre cadre. Peut être bien qu'elle voulait voir Sojra dans un lieu qu'elle ne lui connaissait pas. Mademoiselle serait alors semblable à une oeuvre d'art. Un objet précieux à admirer sous tous ses aspects, sous toutes les coutures. Juste pour en apprécier le moindre relief. Dans l'espoir d'en tirer un nouveau mystère.

▬ Ma belle si tu continus à m'offrir des choses de cette façon je finirai bien par t'enchainer à moi.

Elle arquait un sourcil, la moue espiègle, avec un petit air ironique, juste ce qu'il fallait pour osciller entre la franche déclaration et la simple plaisanterie. C'était tout ce qu'il y avait de frais et de juvénile enfermé dans son regard sombre. Tout y était toujours si limpide, si clair, lorsqu'on s'y attardait qu'il aurait été difficile d'y raccrocher une âme aussi précaire. Sun Hee. Elle n'avait rien de stable, rien de construit. Il aurait été plus exact de la rattacher à la Tour de Pise. Elle était une belle oeuvre d'art, une expérience monumentale au pied d'argile, qui s'élevait et s'élevait tout en demeurant désespérément fragile. Elle était rongé Sun Hee, viciée, souillée, sous ses sourires. Et elle aurait beau rire, elle aurait beau s'agiter avec ses airs de femmes constamment occupés, elle restait avant tout foncièrement pétrit de secret.
Sun Hee eut une petite moue chafouine.

▬ Je te taquine. Je me doute bien que tu n'es pas pressée de te passer la bague au doigt. Ou que tu ne me jetteras pas après quelque mois, ce serait tout de même dommage.

Il y a tant de choses qu'elle pourrait faire et c'était sans doute ça qui était merveilleux- cette facilité qu'elle avait à systématiquement y rattacher "un jour peut être". Parce que Sojra, elle avait encore tant à offrir. Sojra, il lui restait à grandir. Sojra, elle était encore une énigme. Sojra, elle était attrayante. Sojra, elle ne s'en lassait pas encore. Et c'était là, toute la différence. Parce qu'il était si aisé avec elle, de retomber dans cette perpétuelle indifférence. Et alors succédait les souvenirs. Fragments d'image ternis par ce détachement familier auquel elle avait apprit à s'habituer. Sun Hee, elle survivait ainsi. En ne s'attachant, rien qui ne soit tangible. Oh, Sun Hee, elle aimait. Avec force, avec rage, avec passion et obstination. Le temps d'une nuit. Le temps d'une année, de dix. Mais jamais une vie.

▬ Mmh, je vois ce que tu veux dire.

Oh oui, elle comprenait parfaitement. L'attrait de la liberté. Liberté d'aimer. Liberté de désirer sans réellement s'attacher. Liberté de magnifier les corps sous son toucher, d'effleurer de ses lèvres les chaires exposés. D'étreindre les chaires en songeant que quoi qu'il advienne, qu'importe que le monde s'effondre ou qu'il la retienne, elle pourrait recommencer le lendemain et le surlendemain. Parce qu'elle serait à nouveau ivre. Ivre de passion, ivre de désir. Ivre à s'en étourdir.

▬ Moi? Difficile à dire, je ne pense pas avoir un homme qui me retienne plus qu'un autre. J'ai toujours été un oiseau libre.

Ou alors elle aimait trop. Elle l'aimait elle, elle l'aimait lui, mais pas assez pour qu'il ou elle puisse la retenir. Elle les aimait eux, aussi, mais seulement le temps d'une nuit, le temps que survienne l'ennuie. Sun Hee, elle vivait  dans une fête perpétuelle, célébration de la vie comme de la chaire. Elle vivait pour le beau, pour toutes ces petites choses qui dans le fond, adoucissait son existence. Pour ces sursauts de plaisir qui venaient lui chatouiller la poitrine lorsque les lèvres de ses amants égrenaient leurs mots sur sa peau. Lorsque leurs coups de reins la faisait frémir et gémir. Et parfois, oui parfois, ils parvenaient même à lui tirer ses cris. Et ce feu. Oui, ce feu avait quelque chose de merveilleux.

▬ Mais je ne suis pas fermer non plus. Il m'ait déjà arrivée d'entretenir une relation avec des femmes.

Après tout, le toucher d'une amante avait quelque chose de différent. Un homme conquérait généralement avec force. C'était le plaisir brute, celui d'être renverser, celui d'être possédé et de se laisser parfois manier. Mais les femmes... Oui, les femmes savaient lui tirer un plaisir qu'elle n'aurait put décrire. C'était quelque chose de pernicieux, quelque chose d'insidieux. Sous les mains d'une femme, elle se sentait doucement mourir. Oui, elle avait l'étrange sensation de s'éteindre pour mieux revivre.

▬ Nous pouvons donc conclure que nous sommes toutes deux d'un naturel assez libre. C'est quand même assez amusant.

Oh oui, amusant, très certainement.
 

« Je ne sais pas si ce genre de pratique fait partie de ce que j'aime mais.. pourquoi pas. »

Clin d'oeil, sourire joueur, elle est fière, Sojra, de pouvoir sortir quelque chose du genre. Puis, elle est aussi fière de plaire autant à Sunhee - c'est stupide, quand on y pense, de chercher, dans l'absolu, l'affection de tout le monde ; mais c'était Sojra, et ça lui faisait plaisir, quand elle voyait les regards s'émerveiller et les sourires décupler lorsqu'elle arrivait. Plaisir égoiste surtout, égocentrique sûrement, tout était bon pour dorer ses petites chevilles maigres. Puis, plus elle jouait sur les mots, plus elle jouait tout court, d'ailleurs, Sojra se sentait incroyablement bien - comme si c'était une occupation comme une autre, un passe temps, quelque chose qui la détend et qui la fait sourire comme une idiote. Un petit rire, elle hausse simplement les épaules aux mots de l'autre femme - elle la taquinait, elle s'en doutait, ce n'était pas non plus l'évidence la plus évidente, mais c'était une possibilité qu'elle avait rapidement éludée. Néanmoins, Sojra ne perdait pas l'appétit - puisqu'elle s'empressait de finir sa fameuse salade (délicieuse, en passant). Chose faite, la coréenne se redresse, toute droite, essuie ses lèvres d'un geste qu'elle veut digne, pour écouter, inlassablement, la douce voix de l'autre femme. Qu'elle était jolie, cette Sunhee ; qu'elle était posée, calme, douce, tout ce qu'elle aimait. Sojra était curieuse, d'ailleurs - elle se demandait ce qui se cachait derrière cette douceur, si la professeure n'était pas, en réalité, une sociopathe - imagination débordante.

« Un oiseau libre, mh ? »

Ce n'est qu'un murmure (mais il me semble important de le noter) ; Sojra s'intéresse, indéniablement. Peut-être un peu trop gourmande, on l'a trop souvent accusée de jouer sur plusieurs tableaux - elle est douce, elle attire et elle est attirée, c'est plus fort qu'elle. Oh, puis, sa douceur, ça l'aide ; parce qu'on essaye de la pervertir, des fois (souvent), et on découvre, bien heureusement, que la petite norvégienne en sait, des choses, du haut de ses dix neuf ans. Petite grande femme ; Sojra s'intéresse à tant de choses que, oui, sa curiosité l'a déjà poussée jusqu'aux portes viles du plaisir charnel.

« En effet, amusant. »

On y est ; Sojra s'apprête à pousser le vice à son maximum, à appuyer un peu plus sur la plaie, à l'ouvrir, l'écarter, un sourire presque vicieux sur ses jolies lèvres rosées. Elle ne sait pas dans quoi elle se lance - mais la professeure n'a pas l'air étroite d'esprit, au contraire, et si elle la taquine plus sérieusement, elle ne prendra pas peur. Sojra elle-même ne sait pas si ses taquineries sont sincères - mais elle essaye, quand même.

« Ce serait encore plus amusant si, par un heureux hasard, les électrons s'attirent. »

Elle mime, ses deux index se percutant, dans un geste presque candide. Puis, elle se serre un second verre d'eau - dieu merci, on leur a apporté une carafe. Elle boit, encore, toujours, pour souffler, collant son dos contre sa chaise - elle met de l'espace, mais dans le seul et unique but de s'exposer.

« Tu veux un dessert ? Quelque chose de particulier ? »

 

La taquinerie se glissa entre elles avec un naturel décomplexé. Sun Hee arqua un sourcil d'un air amusé en observant Sojra, et le sujet actuel, un dessert innocent, s'évanouit dans l'air. Parmi les fragments brisés des cinq dernières secondes qu'elle passa à la contempler, Sun Hee fut consciente de son désir fugitif d'y répondre franchement et en même temps d'éviter de donner à toutes cette valse une consistance qu'elle n'avait pas encore revêtu. Celle du concret, d'un fait tangible qu'il faudrait dès à présent saisir. Nul doute qu'elle aurait dû y voir un avertissement du destin. L'un de ces signes sortis de nul part, mût par un instinct irrépressible qui ne pouvait que rappeler que vous étiez entrain de franchir une limite que peut être - peut être vous n'auriez jamais dû dédaigner.  Mais Sun Hee, elle avait cette passion irrépressible pour l'interdit. C'était son fardeau, son destin, le caprice de ses envies. Ce genre de jeu, le flirt, n'admettait pas de limite aussi superflus que la gêne. Et Sun Hee était joueuse. Terriblement, fatalement joueuse.

▬ C'est une expérience à vivre au moins une fois avant de la dédaigner. Enfin, ce n'est que mon humble avis.

Madame ne lui ferait pas l'affront de la prendre pour plus prude qu'elle ne l'était réellement. Sojra aimait plaire. C'était inscrit dans sa posture, à chacun de ses soupires, dans l'ombre de ses sourires. Sojra était belle et elle le savait. Et elle en jouait même, avec cette candeur faussement innocente, avec ses mots savants, avec son minois de poupée qu'on aimerait bien malmené. Quelle attitude pouvait-elle bien adopter entre ses draps? Sun Hee se surprit à se le demander. C'était, après tout, un détail qu'elle jugeait révélateur sur la nature d'une femme. S'il y a bien un endroit où il était difficile de mentir c'est dans l'intimité d'un lit.

▬ Attirance. C'est bien le mot oui. Je crois qu'il est parfaitement choisit.

Sun Hee.
Un instant, l'éclat d'un rayon vint se poser avec une affection presque tendre sur son visage resplendissant; sa voix invitait à se pencher vers elle. On chuchotait même qu'elle en jouait, qu'elle murmurait de la sorte pour forcer les gens à se pencher vers elle, pour les étourdir de son odeur, les enivrés de ces décolletés toujours trop prononcés. Une critique déplacée qui pourtant ne lui retirait rien de son charme.

▬ Je me laisserai bien tenter par une glace. Mais seulement si tu la partages avec moi.

Quoi qu'il en fût, les lèvres de madame Liu frémirent dans un sourire, elle inclina presque imperceptiblement la tête sur le côté, n'importe qu'elle exhibition d'assurance lui tirait un tribut étonné. Elle regardait la jeune fille qui se mouvait avec une candeur aguicheuse. C'était l'une de ces grâces travaillés qu'on se plaisait encore et toujours à détailler. Un charme parmi tant d'autre, peut être même plus dangereux que nul autre.

▬ Et ensuite il faudra que j'aille voir quelqu'un. Mais je ne doute pas que nous nous reverrons bien vite.

Comme tout électron qui s'attire.


 

Un sourcil froncé, l'autre haussé, Sojra n'est pas certaine de comprendre les mots de la plus âgée - mettons ça, encore, sur sa maîtrise imparfaite du coréen. Dédaigner, qu'elle dit ? Une moue sur ses lèvres, la norvégienne essaye de comprendre - et elle se perd dans un flot de réflexions sans fin. Il fallait vivre la dite expérience avant de la dédaigner - la première partie, elle la comprenait parfaitement, on ne peut mieux, mais c'était le dédaigner qui la gênait. Pour éviter de passer (une énième fois), pour une sotte, l'asiatique se contente, au bout de quelques minutes, d'hausser les épaules, sans approbation. Soit, l'avis de la professeure avait sûrement ses arguments donc, ses raisons - et tant qu'elle ne le comprenait pas, il servait à rien d'aller à son encontre.

Un sourire quand elle décide que son mot est bien choisi - évidemment, Sojra connaît le vocabulaire d'une parfaite petite flirteuse. Flirt discret mais certain ; elle ne sait pas ce qu'il adviendra de la professeure et elle mais, plus elle lui parle, plus elle s'intéresse - sans oublier le fait que, tout de même, une femme intelligente, brave, qui gravit les hommes, ici, en Corée, c'est si rare - pas que la femme soit intelligente, non, toutes les femmes le sont mais, qu'elle réussisse là où beaucoup peinent. Elle a souvent détesté son sexe, Sojra, quand elle était plus jeune - même si elle l'est encore. Parce que bon, être une femme, c'est pas facile - tu marches, on t'arrête, on te dit que t'es jolie, alors demoiselle Ahn s'est faite à ce mode de vie - elle a finit par adopter la marche, justement.

« Une glace ? Bien. »

C'est avec plaisir, qu'elle accepte, Sojra - elle adore les glaces. Aucune idée des parfums favoris de l'autre femme, elle demande un simple banane spilt - split ? Elle ne sait pas. Tout le monde aime, alors, ouais, elle se dit qu'elle va aimer - et au pire, elle demandera une seconde glace, et elle la mangera avec elle. Ah, Sojra, cette altruiste sans faille, sans fin, sans lois ; son argent saute par les fenêtres et elle sourit, elle sourit parce qu'au fond, elle ne mesure son importance que par rapport aux autres. L'argent, c'est un compteur de sourires ; c'est con, mais ça rend heureux, alors elle partage.

« Déjà ? Triste. »

Une moue aux lèvres. Sojra fait la minette, elle secoue ses épaules, elle couine, elle râle, elle abandonne et elle attrape la glace en vol, pour y plonger une cuillère, inlassablement.

« J'espère que le goût te satisfait ? Je me suis permis de choisir. »


 

Elle vit la confusion s'inscrire sur son joli minois. Mais cette fois ci Sun Hee ne s'embarrassa pas de précision- non, elle laissait la curiosité linguistique de la jeune femme la pousser ou non à découvrir le sens exact de sa phrase plus tard. La chose lui paraissait beaucoup plus distrayante de cette façon. Infiniment plus drôle. Madame tira un instant son téléphone de son sac à main, le consultant brièvement en laissant sa compagne de table passer commande pour leur dessert.

▬ Mmh oui malheureusement. Notre conversation était prenante, j'aurai presque put l'oublier pour être honnête.

Une phrase, un soupire, une moue déçu et madame se retrouvait à nouveau happée par leur échange, inévitablement ancrée dans le jeu. Et c'était peut être ça qui était merveilleux, cette facilité qu'elle avait de s'en détourner pour sans cesse y revenir. Sun Hee. Elle souriait à tout et à tout le monde, mais lorsqu'elle contemplait Sojra, lorsqu'elle lui offrait ce regard beaucoup trop clair pour des yeux si sombre, elle ne semblait pouvoir faire meilleure découverte. Sojra, sous ces yeux là, elle semblait unique, infiniment spéciale, un petit miracle aux lèvres rosés et aux mots insolents. Sun Hee avait ce pouvoir là, celui de voir l'unique en chacun et de le retranscrire de la pointe de ses iris. C'était le propre de l'âme humaine après tout, ce besoin de brûler de son authenticité sans jamais pleinement y arriver.

▬ Moi ça me va, je mange de tout. Je ne suis pas difficile.

Pour la nourriture, les choses se compliquaient néanmoins lorsqu'il s'agissait d'alcool. Madame Liu avait le palais fin et la résistance volatile. L'alcool avait le don de la rendre euphorique, le vin suffisait à faire naitre ses rires, le gin embellissait l'éclat de ses sourires et le soju lui rendait son âme d'enfant, elle s'accrochait aux uns et aux autres, embrassait toutes les joues pour peu que sa coupelle soit assez pleine. Mais jamais, ô grand jamais, Sun Hee ne se contentait de simples sous marques locales. Être ivre certes, mais seulement à coup de grand crû. Avec un certain standing, avec classe surement. Bien qu'une femme ivre n'ait rien de digne. Bien que comme toutes, il lui arrivait de devenir infiniment vulgaire après quelques verres. Pourtant elle aimait l'alcool la jolie chinoise et ne s'en privait nullement. Il lui fallait juste être un peu plus prudente.

▬ Et toi? As tu prévue quelque chose après notre déjeuner?

Leurs cuillères s'entrecroisent dans le léger chuintement de leurs couverts. Parfois, Sun Hee s'amuse à récolter ce qui se trouve dans celle de sa comparse avant d'enfuir l'ustensile entre ses lèvres, son regard plongé dans celui de cette dernière. Son pied glisse doucement contre le sien, de ces fausses inadvertance bien trop répétitive pour que le doute puisse subsister, dans ces sourires canailles qui toujours la rajeunisse. Ah Sun Hee, éternellement incorrigible.

 

Ah, Sojra, si elle pouvait, elle plongerait dans la candeur et la bêtise ; si elle pouvait, elle abandonnerait toute logique, elle se jetterait sur sa comparse pour lui susurrer elle ne sait quoi - elle était impulsive, Sojra, et quand elle voulait quelque chose, elle avait du mal à retenir les papillons qui dansaient dans son ventre. Oh, partagée entre l'envie de bondir sur la plus âgée, de lui dire que, bon sang, pourquoi s'amusait-elle à la taquiner autant, et celle de mimer l'innocence, la Norvégienne se contentait de ronronner. Si c'était grâce à la glace incroyablement bonne, ou au pied taquin de la plus âgée, Sojra ne le savait pas - ou peut-être que si mais, Sunhee ne le saura jamais. Pauvre Sunhee, d'ailleurs, incapable de lire les petites pensées de Sojra - incapable de connaître la raison pour laquelle la coréenne la fixe, inlassablement. Une prédatrice, oui. Toujours affamée, oui. Mais c'est de sa faute.

Pour preuve, son escarpin frôle la jambe de la professeure, glisse sur son long, tendrement, doucement, pendant qu'elle l'imite, qu'elle picore dans sa cuillère et qu'elle gobe quelques morceaux de glace, de banane, ou de chantilly - elle s'amuse, Sojra, nul doute. Elle écoute, ainsi, silencieuse, l'autre femme, gigote dans un rire oisif quand elle lui demande si elle a prévu quelque chose. Voyons, ce serait mal connaître Sojra - elle n'avait rien à faire. Attendre, seulement, s'occuper, sûrement. Le boulot, elle ne le prenait que le lendemain ; les cours, elle avait déjà fait ce qu'elle jugeait nécessaire. Alors elle allait juste errer, dans les rues, comme un chat abandonné, en quête d'un potentiel maître.

« Absolument rien. Si tu ne partais pas, je t'aurais volontiers proposé de passer dans ma chambre mais, bon.. »

Une moue sur ses lèvres colorées, ses jambes se croisent et elle termine ce qu'elle juge comme étant sa dernière bouchée de glace. Chose faite, la jolie poupée glisse une mèche derrière son oreille, observe l'autre, attendant patiemment son départ - simplement pour le plaisir de la voir marcher, loin d'elle, et pour se dire que, qui sait, elles se reverraient plus vite que prévu.


« Merci beaucoup pour ce repas, ceci dit. »

 

Sun Hee se complaisait dans leurs échanges, de peaux qui s'effleurent et se taquinent sous la table du restaurant, de regards qui se croisent et s'échappe sous la courbe des sourires. C'était comme une éclosion, la fleuraison de quelque chose d'à la fois nouveau et vieux comme le monde, une danse de tous les âges où ces dames et ces hommes s'embourbent et s'enfoncent dans le même désordre de sens et de suppositions. La séduction était une pratique qu'on ne cherchait plus à rationalisé. Ni même à quantifié. Sun Hee, elle n'aimait pas y rattacher une quelconque notion terre à terre, beaucoup trop ennuyeuse pour revêtir à ses yeux un quelconque intérêt. Parce que le désir était une chose irrationnel. Séduire était impulsif. Chercher la chaleur d'un corps blottit contre le sien, la douceur des lèvres qui viendraient se  presser contre les siennes. Tout ça était entêtant. Parfaitement enivrant.

▬ Si tu te perds en chemin tu pourras certainement faire un détour par mon appartement prochainement.

Un sourire encore, un de plus, un qui doucement invitait à le mordre à pleine bouche, qui incitait à faire des bêtises. Mais pas encore non. Pas encore. Sun Hee, elle avait d'autres affaires après tout. Des affaires hautement plus pragmatiques qui venaient lentement mais surement percer la bulle dans laquelle ce déjeuner l'avait enfermée.

▬ Mais de rien, ce fut un plaisir. Merci à toi surtout pour le repas.

Sun Hee, elle vient déposer un goutte de crème glacé sur le bout de son nez. Parce qu'elle n'avait aucun doutes, elles se retrouveraient. Peu importe quand, peu importe le lieu, elle était intimement persuadé que leurs rencontre ne pouvait pas aboutir sur un adieu. C'est pour cela que, reposant la cuillère dans la coupelle, elle se redressa en récupérant son sac, adressant un léger clin d'oeil à sa compagne de table.

▬ A très vite Sojra.

Et elle s'en allait, adressant à la jeune fille un léger signe de la main.