[I'll never be the same again - Su Nah]

Je donne un coup de pied dans un caillou, les mains dans les poches. J'attends Su Nah en bas de chez elle mais j'suis pas de bonne humeur aujourd'hui. J'ai encore aperçu cette fille triste à l'école. Cette nouvelle. J'suis presque sûr qu'elle se fait harceler par d'autres filles mais j'ai besoin de le voir pour leur rentrer dedans. J'peux plus laisser ces conneries passer. J'peux plus le supporter. Des gens meurent à cause de ça putain. A cause des conneries que des gosses font sans s'en rendre compte. Ma soeur est morte à cause de ça... Rien que d'y penser ça me fout les nerfs et les larmes me montent aux yeux.
J'exhale un nuage de buée dans la fin d'après-midi hivernale, il fera bientôt nuit et il fait hyper froid. Pourtant j'suis là. Parce que Su Nah c'est en quelques sortes ma plus proche amie en ce moment. C'est la seule qui soit restée ma vraie amie en fait, les autres je les vois plus,
je les évite. Ils comprendraient pas, personne peut comprendre ce qui brûle à l'intérieur. La colère, la haine, la tristesse, le regret. Je serre les dents et je la vois sortir de l'immeuble. Putain c'pas trop tôt, tu foutais quoi là-haut ? Je sors une clope de ma poche et la porte à mes lèvres avant de l'allumer. Je sais qu'elle aime pas trop ça, c'est surement en partie pour ça que j'le fais. Je baisse mes yeux brillants avec un petit sourire, j'attends sa réprobation, j'attends quelque chose, j'ai besoin que quelqu'un me réveille à l'intérieur, j'ai l'impression d'être mort. Mort avec ma soeur, neuf mois auparavant.

Su Nah était de ces amis qui ne lâchaient jamais les leurs, d'autant plus lorsqu'ils en avaient le plus besoin. Et peu importait ce qui arrivait. Elle et Sang Rae se connaissaient depuis un long moment maintenant... Et elle avait notamment connu sa sœur. Sa petite sœur. Elle-même avait un petit frère, et n'osait même pas s'imaginer ce qu'il adviendrait d'elle si jamais il lui arrivait quelque chose. Alors... Elle compatissait. Elle compatissait à sa douleur, et le soutenait comme elle le pouvait, en l'épaulant, en restant à ses côtés. Malgré ses sauts d'humeur, malgré son comportement étrange. Elle essayait d'être patiente, et gardait sa porte ouverte. S'il avait besoin de sortir, s'il avait besoin de parler, s'il avait besoin de seulement changer d'air, elle était là, elle serait toujours là et faisait de son mieux pour qu'il n'en doute jamais.
Alors même si elle avait un entraînement le lendemain à cinq heures du matin, même si elle était épuisée par sa journée, elle n'avait pas dit non lorsqu'il avait voulu la voir et s'était empressée de le rejoindre en bas de son immeuble. « Désolée. Mon père avait besoin de quelque chose... Tu connais ses crises. » Les dédoublements de personnalité, c'était loin d'être une mince affaire. Et c'était juste infernal à gérer. Pas très dangereux, mais infernal. Un homme ayant largement dépassé la quarantaine, et qui se mettait à agir comme un enfant... Malgré tous les soins, la situation ne s'améliorait pas. Alors elle était contrainte, encore et toujours, d'être là le plus possible, pour éviter que les choses ne tournent mal. « Eh. Tu fais quoi là ? T'es con ou quoi ? T'as perdu la tête ? Enlève-moi cette connerie de là. » Une cigarette. Il déconnait ? Sans crier gare, elle l'attrapa et la lui arracha des lèvres avant de la jeter sur le sol et de l'écraser. Attentionnée, la Su Nah, mais cela signifiait aussi que certains comportements ne passaient juste pas avec elle. Il était son pote, et elle le soutenait, mais cela passait aussi par lui éviter de se foutre en l'air. « Quelle mouche t'a piqué au juste ? Tes conneries, là, ça commence à bien faire. »

« Désolée. Mon père avait besoin de quelque chose... Tu connais ses crises. » Effectivement, j'avais conscience de ce que Su Nah vivait au quotidien et en général, je compatissais, j'avais même un peu pitié, j'aurais préféré qu'elle ait la famille la plus cool du monde, qu'elle vive dans l'opulence et qu'elle ait de meilleurs amis que moi et Andreas. Mais aujourd'hui, je m'en bas les couilles. Je suis obsédé par ma propre petite personne, par la souffrance qui me consume, je suis incapable de penser à Su Nah ou à n'importe qui d'autre. Je me contente de hocher un peu la tête en m'allumant une clope, pour lui faire comprendre que j'ai entendu, à défaut d'autre chose. Mon sourire insolent ne quitte pas mon visage même si elle m'arrache littéralement la clope d'entre les lèvres et l'écrase par terre. Puis j'écoute son petit sermon. Malgré toute la volonté qu'elle y met, elle peut pas comprendre Su Nah. Elle peut pas capter ce que je veux. Elle m'insulte et m'dis que j'ferais mieux d'arrêter mes conneries. J'viens de commencer. Je relève mon regard brillant pour croiser le sien. « Ouais, j'suis con ouais. J'fais que des conneries Su Nah. J'peux pas arrêter de faire des conneries. Si j'arrête, j'meurs. Tu- Tu captes pas. Pas vrai ? » Puis un blanc, j'la quitte pas du regard, je serre les dents. Ses cheveux, ses yeux furibonds, ses lèvres pulpeuses. C'est un fille Su Nah, comme ma soeur. Elle a les cheveux foncés, comme ma soeur. C'est le genre de pensées que j'peux pas empêcher d'envahir mon esprit à longueur de temps, j'essaie pourtant. J'veux penser à autre chose. J'veux ressentir autre chose, n'importe quoi. Alors j'craque, j'disjoncte comme d'habitude, j'fais la première connerie qui m'passe par la tête. Ma main attrape sa nuque et je l'attire contre moi, mes lèvres percutant les siennes. Je partage avec elle la tempête intérieure qui m'habite, je me montre brutal, vif, je chatouille sa langue surprise de la mienne, je lui mord la lèvre jusqu'à en sentir le goût sur sang sur ma langue. Je sais qu'elle va me détruire, parce que c'est Su Nah. Mais au fond c'est peut-être bien ce que je cherche.

Étrangement – car oui, ça pouvait sembler étrange – Su Nah se sentait chanceuse. Vraiment chanceuse. Certes, son père était malade et ce n'était pas simple mais... Il était là, il était vivant. Il n'était pas dangereux, il n'était pas un serial killer, pouvait rester avec eux sous le même toit même si cela signifiait énormément de soins... Puis, elle avait sa carrière. Incroyable. Certains la pensaient être la réincarnation d'un ninja, samurai ou Bruce Lee, au choix. Parce qu'autant de médailles d'or, aussi jeune, cela relevait presque de l'impossible. On ne pouvait pas tout avoir dans la vie, la belle ne le savait que trop bien... Et que sa famille ne soit pas parfaite, que son existence ne soit pas parfaite... Elle s'y était faite. Et plaignait beaucoup plus Sang Rae, par contre. Parce que personne ne méritait de perdre un proche parent. Elle avait perdu sa mère, et savait ce que c'était. Perdre sa sœur, à cause d'un suicide, causé par du harcèlement scolaire constant par d'autres élèves... Elle voulait le soutenir, vraiment. Mais son soutien ne passait en aucun cas par le fait de le laisser s'auto-détruire sous ses yeux. Alors sa cigarette, elle l'écrasa en moins de deux, le fusillant du regard. « J'capte pas, non. C'est con, j'capte pas les trucs aussi cons et qui n'ont aucun sens. » Le constat était clair, non ? Sans le lâcher du regard, elle avait croisé les bras, et attendait. Attendait une prise de conscience de sa part, à quelque chose. Mais alors à ça, elle ne s'y était pas attendue. Prise au dépourvue, elle se retrouva attirée contre lui et surtout... Il l'embrassait. Il l'embrassait ? Si en temps normal Su Nah avait des réflexes à en faire pâlir Naruto, là, tout de suite, le choc l'empêcha de réagir. Jusqu'à ce qu'elle ressente une vive douleur à la lèvre. Putain. Se soustrayant rapidement à son emprise, elle inversa les positions en l'attrapant par le col de son haut, le plaquant contre le mur. Il avait disjoncté. Il avait totalement disjoncté. « MAIS PUTAIN. T'as quoi à la place du cerveau là ?! » Elle passa sa main libre sur sa lèvre, voyant alors le sang. « Tu m'as mordu ! Mais t'es complètement taré ma parole ! » Ah, Sang Rae ne se rendait sûrement pas compte de sa chance. Elle ne faisait que l'engueuler alors que le dernier mec qui avait tenté une telle chose avait fini avec le nez cassé. Quel privilégié.