To where we won't be found - Sae Ra

Un simple texto de Sae Ra. Ramène toi au QG. Je regarde l'heure, je finis dans dix minutes. Les dix minutes les plus longues de ma vie, à croire que quelqu'un retient les aiguilles pour qu'elles avancent moins vite. J'sais pas ce qu'elle veut, probablement boire une bière en me racontant les dernières fêtes Ilgagsu où j'ai absolument pas pu venir. Faut dire qu'entre les cours, mon boulot,
le hockey, la radio et Ji Eun, sans parler d'Andreas et ses travaux d'intérêt général de merde, j'avais pas vraiment eu le temps d'être présent sur la scène des grosses fêtes étudiantes ce mois-ci. Donc elle allait carrément avoir une vie à me raconter. La sonnerie m'éclate enfin mes oreilles et je jette littéralement le contenu de mon bureau dans mon sac avant de filer vers la porte. J'arrive sur le toit à bout de souffle,
le front mouillé d'avoir couru, quelques mèches collées dessus, tout ça pour me rendre compte qu'elle est pas là. Soit elle se fait désirer pendant un quart d'heure, soit elle me pose un lapin. Connaissant Sae Ra je pencherais bien pour la deuxième option alors je souffle, déçu et me laisse tomber dans le QG, aka quelques morceaux de cartons scotchés en forme de cabane. Pour être honnête, je touche le "toit"
avec la tête mais c'est pas grave. C'est notre coin. Je souffle, reésigné,
avant de lui passer un coup de fil. Une sonnerie. Deux sonnerie. Et puis la porte du toit s'ouvre brusquement, laissant apparaître mon amie,
débraillée comme d'hab, la clope au bec, le soleil se reflétant sur ses lunettes de soleil. Et je peux pas retenir le grand sourire qui éclaire soudainement mon visage en laissant retomber ma main tenant mon téléphone. « Bah putain, j'croyais que tu m'avais posé l'plus gros lapin de ma vie. »

J'ai passé toute la matinée à danser en culotte avec deux inconnus dans une chambre d'hotel pourav' et le reste de la journée à courir derrière le chien de Mika que j'étais censée garder mais j'savais pas qu'il savait pas piloter un putain de radeau quand je l'ai largué sur la rivière. Enfin bref, pas les plus grosses réussites de ma vies. Du coup j'ai organisé un p'tit rendez-vous avec sangria, ça fait genre un million d'années que je l'ai pas vu. Au moins cinq jours.

Deux-trois coups de fils en fourrant une étagère entière de mon bordel dans un sac et me voilà, débarquant comme stallone dans un de ses films, sur le toit habituel. Lunettes vissées sur la gueule j'suis prête à rouler des mécaniques avec Rae qui me voit arriver tel le messi d'une secte terroriste assommée au crack.

« Bah putain, j'croyais que tu m'avais posé l'plus gros lapin de ma vie. »

« Mais naaan. Je ferais jamais ça tu sais bien ! »

Faux. J'ai du lui faire le coup pas moins d'une vingtaine de fois, mais c'est moi, tout le monde sait que c'est mon genre de me défoncer la tronche sur un tourniquet jusqu'à en oublier mon nom. J'ai d'ailleurs plusieurs fois été persuadée de m'appeler Patricia... Souvenirs d'une vie antérieure ? Bref, on s'en fout total parce qu'aujourd'hui j'ai une putain de surprise pour mon p'tit sangria. Direction la France. On va se torcher une bonne cuvée de rouge dans un vignoble du sud et il sera pas déçu du voyage ce ptit con. Mais je voudrais pas lui gâcher la surprise tout de suite donc je ferme ma bouche pour l'instant, j'me contente de l'agripper soudainement par le bras pour le tirer impatiemment, un petit rire nevrosé en prime. Et comme si il était censé être au courant de tout je râle en l'attirant dans les escaliers du bâtiment.

« Tu viens putain ? On a pas que ça à foutre mec ils nous attendent là. »

Une fois arrivés en bas, et sans plus de détails de ma part je l'embarque dans une voiture noire conduite par un chauffeur privé. Si j'avais pu, j'y serais allée en voiturette de golf mais je nous voyais mal à toutes berzingues sur la route jusqu'à l'aérodrome.

« Allez-y. »

Dis-je simplement au conducteur pendant que Sangrae, quasi kidnappé, fait alors des pieds et des mains pour tenter de savoir ce qu'il peut bien se passer. Ce à quoi je lui réponds simplement d'un allumage de joint provocateur. J'avoue que c'est dur pour moi de garder mon calme à l'heure qu'il est, j'ai plutôt envie de me rouler partout dans la bagnole et déblatérant de façon hystérique un flot de récits ininterrompus. Peace, meuf. Peaaace.

« Mais naaan. Je ferais jamais ça tu sais bien ! » J'esquisse une moue moyennement convaincue. Je me souviens de la vingtaine de fois où elle m'a posé des lapins comme si c'était hier. Et pourtant j'viens toujours, comme un con. En avance même, en courant. Mais faut dire que passer du temps avec Sae Ra c'est cool, c'est pas prise de tête, j'peux me lâcher sans avoir peur de quoi que ce soit parce que j'sais qu'elle aura oublié toutes mes histoires le matin suivant. Puis elle est marrante c'te fille. Je me lève en voyant qu'elle vient pas s'affaler comme une merde, comme d'hab. Elle m'prend par le bras et me tire vers les escaliers. « Tu viens putain ? On a pas que ça à foutre mec ils nous attendent là. » Je fronce les sourcils. Ils ? Qui ça "ils" ? De quoi elle parle encore ? J'sens la soirée complètement twisted à plein nez, elle a toujours tendance à m'embarquer dans des endroits chelou où on m'propose de la drogue tous les deux mètres. « Euh, t'as l'air d'oublier que j'suis pas au courant de tes plans. On va à un résoi encore ? » Je la suis sans broncher dans une voiture noire stylée avec chauffeur.  « P'tain Sae Ra t'es grave riche, j'pensais que t'étais juste un petit peu riche, vu te dégaine. Moi j'croyais qu'on allait y aller en voiturette comme d'hab. » Je hausse les épaules en commençant à faire mumuse avec les vitres électriques. Puis je m'arrête et me tourne subitement vers ma pote. « Mais en vrai on va où ? Crache ! » Elle me regarde droit dans les yeux et s'allume un gros joint tranquille. Ok, ça veut dire que j'saurais rien. J'lève les yeux au ciel, c'quoi ces cachoteries là. J'retourne à mon jeu d'ouvrir et fermer la fenêtre et je capte vite fait que le paysage est plus celui de la fac. « Et mais. On est sortis de la fac, t'es sur c'est par là Chauffeur ? » Je jette un regard mi-interrogateur, mi-excité à Sae Ra. Ca s'trouve elle m'emmène au parc d'attraction ou j'sais pas quoi. Ce serait stylé.

« P'tain Sae Ra t'es grave riche, j'pensais que t'étais juste un petit peu riche, vu te dégaine. Moi j'croyais qu'on allait y aller en voiturette comme d'hab. »

Riche ? Comment ça riche ? J'viens le chercher en Mercedes et il me crois pété de thunes celui-là. Il doit pas savoir que ça pour moi c'est un touc-touc thaïlandais à deux balles, faut dire que depuis que j'suis petite je me déplace en cortège gouvernemental. Pas l'même standing quand même. Mais j'me contente de hausser les épaules. J'ai pas de com à faire, j'suis pas adepte de la livraison continue d'informations personnelles. On va plutôt dire que ma logique est aussi en bordel que ma vie, donc cherchez pas à savoir ce que je raconte ou pas, je préfère qu'il connaisse ma taille de string plutôt que le fait que je sois la fille du ministre. Bref.

Je grignote ma lèvre avec un faux détachement, j'veux que le chauffeur bouge son cul et qu'on arrive parce que je vais pas supporter de regarder Rae s'affoler dans tous les sens comme ça et réussir à fermer ma gueule jusqu'au bout, j'ai trop envie de rire putain. On est déjà sortis du campus et un rire qui ressemble plus à une plainte me trahi quand sangria s'en rend compte. Meeerde c'est trop bien de kidnapper quelqu'un !

« T'inquiètes j'te dis. Annule juste tous tes rendez-vous pour les quatre prochains jour, au minimum. »

Je pouffe encore. C'est sadique mais j'sais que ça va le faire paniquer, je jubile. Je le laisse donc se démerder avec cette information et je m'enferme dans ma bulle avec mon joint pour le reste du trajet. J'me fais des commentaires sur le paysage dont j'ai rien à foutre, je me demande quel nom je lui donnerai si j'avais un escargot domestique, enfin je fais tout sauf calculer Sangrae jusqu'à ce que les pistes de l'aérodrome apparaissent devant nous. Enfin !


« Tu viens ? »

J'avoue que c'est assez stylé. La voiture a posé son cul juste devant l'entrée de l'avion comme dans un drama où a fille doit rattraper le riche héritier qui s'enfuit dans un pays lointain. Sauf que là c'est que nous qui allons monter dans un jet privé arborant en gros mon nom de famille. D'une main ferme je traîne mon pote dans les escaliers et le projette contre un siège en cuir crème. Voilà. Je m'écroule dans le siège en face, les deux pieds posés sur la table qui nous sépare.

« T'inquiètes j'te dis. Annule juste tous tes rendez-vous pour les quatre prochains jour, au minimum. » Mon sourire s'agrandit, illuminant complètement ma face. Je bondis sur mon siège et lui attrape le bras sous le coup de l'excitation, j'suis sonné, j'ai du mal à capter ce qu'elle me dit. Elle m'kidnappe en fait, c'est ça ? « MAIS NAN ? T'ES SÉRIEUSE ? ON VA OÙ SAE ? » J'éclate de rire comme un gosse. Ok, j'suis jamais sorti de mon trou, la seule expédition que j'ai faite en dehors de Séoul, c'est la soirée dont je me souviens pas de la moitié avec les SAJA. Alors à la perspective d'une aventure, qui plus est avec Sae Ra, j'suis excité comme une puce. J'me décide enfin à envoyer un sms à tout le monde, y compris mon boss, pour dire que j'serais off the grid pendant quelques jours. J'espère qu'on va aller dans une autre ville, j'kifferais voir Busan il parait que c'est cool. Je trépigne d'impatience pendant le reste du trajet, sans cesser de harceler Sae pour savoir où on va et pour lui faire mes petits commentaires sur la route, sur là où j'espère qu'on va, sur mes potes qui viennent pas avec nous et qui seront jaloux. « Putain j'imagine trop la tête d'Andreas quand j'vais lui dire que j'suis sorti de Séoul sans lui. Et Sae, on va pas à Daegu par hasard ? J'pense que c'est cool aussi. Busan, Daegu, tout me va temps que j'peux voir des trucs. J'espère qu'on pourra manger des trucs cools aussi. Et Sae, tu m'écou- » Ma bouche s'arrête de fonctionner au moment où on entre sur un putain d'aéroport, genre l'endroit où j'suis jamais allé de ma vie, j'reconnais juste les pistes immense et les avions méga gros. J'savais même pas qu'on pouvait débarquer en bagnole sur la piste et tout. J'nous voit nous arrêter devant un jet privé et je reste paralysé sur mon siège jusqu'à ce que Sae me rappelle à l'ordre. J'étais même pas sûr d'être réveillé alors je la suis comme dans un rêve, des escaliers, tout m'parait ouf, surtout l'intérieur. Ca ressemble trait pour trait au genre d'avion qu'on nous montre dans les drama, sauf que la fille est habillée n'importe comment et pose ses pieds sur la table. Je pouffe en lui jetant un regard amusé. « Putain, t'es assez riche pour être ma Sugar Mommy. Si j'avais su j'taurais fait raquer à chaque fois que j'tai emmenée bouffer. D'ailleurs pourquoi c'est tout l'temps moi qui paie putain ? T'as pas honte ? » J'lui jette un regard outré à défaut d'avoir un vrai truc à lui jeter dessus. J'ose rien toucher, tout a l'air de valoir l'intégralité me compte en banque, même les cure-dents, si y en avait j'étais sûr qu'ils seraient en or quoi. J'tiens pas en place alors je me lève, j'fais les cent pas, j'fais l'tour de l'avion, regarde par les hublots pendant qu'on commence à rouler et une hôtesse, une putain d'hôtesse privée me dit de m'asseoir pour le décollage alors je l'écoute. Et le décollage est ouf. Pile poil comme je l'avais imaginé, cette impulsion qui me fais guilli dans l'ventre, cette sensation d'être entraîné dans les airs, d'aller vite, de s'enfuir, de s'envoler. J'suis grisé et quand on arrive à une attitude convenable j'me remets à bouger dans tous les sens. « C'est la première fois que j'prends l'avion c'est quoi ç- Ah, fallait pas toucher. Bon, on va où, tu peux m'le dire maintenant nan ? T'sais que j'connais même pas ton nom de famille ou quoi, si tu m'kidnappe j'peux rien dire sur toi à la police. J'veux dire si j'trouve la police avant d'être vendu dans le traffic d'être humain. T'as vu Taken ? Il était cool ce film, j'ai bien aimé. On met la musique ? J'ai envie de danser, d'faire la fête, j'sais pas. Tu m'rends sauvage tout à coup, ouh. Enfin prends pas ça dans l'mauvais sens hein, tu sais que j'ai une meuf. » Je la regarde à travers les mèches de cheveux qui m'tombent dans les yeux en farfouillant sous les sièges, on sait jamais si y a des trucs cools à découvrir.