lunch time ϟ kaeun

Il y a des reflets dans ses cheveux et des bancs de pèlerins à nageoires qui lui traversent le regard. Elle a l'air sereine, et sa poitrine lente, la combattive silencieuse, dans le doux cahotement des poumons, du thorax, des cages oxygénées, ne se soulève pas. Parce qu'il ne se passe rien. Elle ne pense rien qu'à un mirage. Ce n'est pas de la morgue. Ce n'est pas de la superbe. Elle ne pense rien. Elle était en suspens. Sa tête était vaste et poreuse, un globe de verre, un cosmos immergé et un petit étang aux eaux stagnantes où la cervelle macérait dans les idées bleues. Elle tiqua doucement de l'oeil droit, du sourcil gauche ; pris de ces minuscules gestes à fleur de peau, et sans odeur, et sans impact, et si cliniques qu'on ne les voit pas.

À la surface de l'eau, là où l'aération gluante d'une substance dégueulasse gémit comme un enfant qu'on démembre, un ossuaire de cent cinquante poissons crevés. Trépassés là-haut. Comme par les souffles mortuaires de Poseidon. Une condamnation de mille lieues sous les mers. Ils flottent. Une murène passe et cache le pli de ses yeux. Un passage. Un cri sirène qui se perd sous une vague. Cœur de requin battant.
Elle perdait patience. Ca sentait le poison.

▬ Putain de merde...  

Coco.
Et ces doigts qu'on porte à sa tempe pour détendre la chaire éprouvée, ces paupières qui papillonnent  sous le poids croissant de son épuisement. Les lendemains de soirées, elle finissait systématiquement par les regretter sans jamais pouvoir les réprimer. Coco vivait au rythme de ces soirées, elle y construisait le fil de son quotidien et y recouvrait très certainement une source de réconfort. Mais tous ça... le besoin, l'ennuie, le manque. Toutes ces choses revenaient systématiquement. Ils la prenaient à la gorge et serraient jusqu'à l'étouffer. Alors il fallait recommencer. Les fêtes, l'alcool, le sexe, la drogue. Il fallait s'y raccrocher pour ne plus avoir cette impression d'éternellement couler. La vie était une course qu'elle ne pouvait pas gagner en vérité. Et la vie, sa vie, lui faisait l'effet d'une drôle de pièce de théâtre. Une comédie grec où l'étrange et l'absurde se mêlent dans un marasme désopilant.

Mademoiselle soupire. Mademoiselle frotte ses paupières et détache son regard de sa bouteille d'eau à la recherche d'une distraction, d'un intérêt quelconque, d'un quelque chose qui viendrait l'éloigner de ses sombres pensées. Un petit miracle perdue au milieu du terrain universitaire. Et soudainement, son salut à des cheveux bruns soigneusement coiffée et un visage poupon qu'on voudrait bien croquer. Kaeun, une des nombreuses princesses de l'université. Une de celles qu'elle n'a aucun mal à supporter. Et ça se dessine comme une évidence, ce "pourquoi pas" qui fleurit sous son front. Elle se lève la petite blonde, ramasse plateau et bouteille d'eau et s'assoit face à la yeongwang, un sourire jouant sur ses lèvres.

▬ Salut ma belle.

Et Coco souriait, posant son menton sur la paume de sa main en conversant en français. C'est l'une des choses qu'elle appréciait avec la petite brune, elle pouvait s'exprimer dans sa langue maternelle sans craindre qu'elle ne la comprenne.

L'ennuie était une chose absurde.
Elle surgissait du vide et venait l'emplir d'un sentiment parasite, un mal presque instinctif que mademoiselle n'avait jamais sut définir. L'ennuie, il résultait de ces rares moments d'inactivités où elle ne savait quoi cogiter. Il parasitait ses pensés et l'emplissait d'un indicible sentiment d'anxiété. L'ennuie, c'était les couleurs ternes qui dansaient sous ses pupilles. C'était ce monde sans bruits et sans plis beaucoup trop lisse pour qu'elle y construise son équilibre. Mais l'ennuie l'avait aujourd'hui conduite face à Kaeun. Une des princesses de l'université, ces jeunes fleurs qu'on observait sans jamais approcher. Les yeongwang avaient cette image là, un groupe soudé et hiérarchisé  dont la reine mère serait une héritière fortunée. Une légende perdu au milieu d'une infinité d'autres légendes. Après tout, ce genre de règne ne durait qu'un temps.

▬ Toujours aussi solitaire à ce que je vois.  

A force, Kaeun était devenue une figure familière. Elles n'étaient pas les meilleures amies du monde, il était même difficile de dire si elles étaient réellement "amie" tout court. Mais la demoiselle Bai avait un attrait linguistique que Coco ne trouvait nul part ailleurs. Un air de Paris détenue entre ses lèvres roses, de cet accent légèrement prononcer qui l'avait toujours fait marrer. Malgré son apparente froideur, Kaeun, Coco la trouvait adorable. Un joli minois qui parvient à se détacher de la masse.

▬ T'as pas envie de faire un truc aujourd'hui? Genre sortir,
profiter de la ville?

Et tuer l'ennuie qui la gangrénait, qui parfois lui bouffait la chaire. L'ennuie qui prenait toute la place jusqu'à ce qu'elle ne sache plus quoi en faire.
L'ennuie était son ennemie mortelle, c'est pour cela que Coco faisait tout pour se distraire. Et si elle pouvait vous entrainer dans ses inconséquence,
le plaisir n'en serait que meilleur.