doublé truqué scindé

La Corée, c'est beau. Là, on est tous d'accord. C'est beau, c'est pas si grand, c'est peuplé, beaucoup plus que la Norvège - c'est moins froid, c'est plus humide, c'est plus touristique, aussi - elle a croisé tellement d'européenne. La Corée, c'est beau. Nul doute. Puis, elle est bridée, elle est coréenne - alors tout va bien pour elle, et elle n'est qu'à moitié surprise de se sentir si bien, ici. Jamais venue, pourtant déjà chez elle. Déjà chez elle, mais Sojra ne pouvait pas s'empêcher de lancer des regards curieux à tous les étudiants - ouais, quiconque passait, quiconque était dévisagé. Mais c'était doux, hein, elle ne les fusillait pas, ou à peine, elle se contentait d'observer leur comportement, leurs habitudes, la manière dont ils parlaient, les grands gestes de certains et les petites timidités d'autres. La Corée, c'est beau - les coréens, un peu moins.

Elle avait déjà eu quelques remarques - sur son prénom atypique, surtout. Sojra - on dirait Sora, avec un j, une gêne, quelque chose qui ne devrait pas être là et qui ferait mieux de partir. Ruminant sur les paroles blessantes d'une énième camarade, la petite européenne croise ses jambes - elle préfère se dire que, oui, Sojra, c'est pas habituel mais, Sojra, c'est beau - enfin, pour elle. Puis, elle ne s'était pas gênée pour trémousser des épaules, prendre un air orgueilleux et affirmer que, son prénom, au moins, les mecs le soufflaient. Sourire en coin. Elle est fière, en plus - et elle revoit la scène, la tête offusquée de cette coréenne on ne peut plus traditionaliste, et elle secoue encore ses épaules, elle rit, en y repensant. Victoire intime, mais victoire suprême.

Mais ses pensées (ô combien auto-centrées, pour une fois), sont vites dérangées par un derrière qui prend place à côté du sien. Sourcil haussé, l'asiatique lève un oeil, puis les deux, puis le visage, puis tout, pour regarder - un mec, soit, d'accord. Asiatique, coréen, sûrement - quoique, pour être aussi osé, il ne doit pas être un pur - ils sont tous incroyablement gênés, à ses yeux. Enfin, ça ne lui empêche de lui balancer un sourire, énorme, brillant, même, pour lui tendre la main - manie d'européenne, qu'elle ferait mieux de perdre, parce qu'à chaque fois, on la regardait comme une détraquée sexuelle. « J'sais pas ce que tu fais là mais, salut. »

Lenny et l’astrologie c’est une évidence, c’est une histoire d’amour qui est née le jour où il a observé son premier ciel étoilé, sous le son de la guitare de Dax et du chant pseudo-indé de mama. Malgré ça il peine à tenir des heures entières assis sur une chaise sans se dandiner, son besoin en nicotine le titille depuis une heure et c’est avec regret que personne n’a un patch à lui filer pour qu’il surmonte son addiction. C’est pas faute d’avoir envoyé un message kakaotalk à toute la promotion dans un acte complètement désespéré. Il se tient la tête entre les mains, il en peut plus il va crever. Sonnerie de la délivrance, il saute de sa chaise et se casse, déjà prêt depuis trois quarts d’heures. Délectation suprême d’allumer un bâton de tabac entre ses lèvres et d’en tirer la première bouffée précipitamment, tellement qu’il manque de s’étouffer avec ce con. Prêt de la fontaine, là, assis tranquille Lenny tu vas survivre. Il a déjà incendié la moitié du cylindre lorsqu’une petite poupée lui tend sa main « J'sais pas ce que tu fais là mais, salut. » Perplexe, les doigts pinçant sa cigarette il l’observe un instant avant de libérer ses lèvres, dévoilant un sourire amusé et tendant sa main à son tour, empoignant la mimine délicate de la jolie bouclée. « Et j’sais pas ce que tu fais mais salut. » Elle a un joli visage, un look qui lui plait bien, une allure de coquine. Elle est validée. « Je t’ai jamais vue ici. Tu viens d’arriver Tu m’as l’air aussi exotique qu’une banane de Guadeloupe. »

Haussement d'épaules ; elle aussi, elle n'en savait foutrement rien. Elle n'avait jamais compris son côté over-sociable - comme si elle était obligée de tendre sa main à n'importe qui, d'envoyer valser les sourires et les mots doux. Elle pourrait se faire bouffer n'importe quand, n'importe où et par n'importe qui - elle pourrait disparaître du jour en lendemain, et ça, à cause de sa gentillesse à outrance. Gentillesse injustifiée - disons plutôt une bonté d'âme. Mais la norvégienne n'y pensait plus trop, quand l'autre énonce des vérités - oui, il ne l'a jamais vue, oui, elle vient d'arriver et.. la banane exotique, moyennement mais, ça a le mérite de lui arracher un rire. « Je viens de Norvège - mais j'suis coréenne, hein, et, euh.. » Regard qui s'veut pas méchant, juste jaugeur, qui le regarde de haut, puis de bas, de droite et peut-être de gauche - avant de donner des petits coups contre l'épaule du garçon. Trop amicale, certainement - mais on ne lui en veut pas. « J'ai absolument rien d'une banane. Mais, merci ? » Cheveux derrière l'oreille ; « C'est votre technique de drague, les coréens ?  » Remarque stupide, remarque idiote, mais Sojra secoue son petite corps dans un rire, rire qu'elle veut partagé - pour éviter de subir une solitude et, peut-être, une honte cuisante. Elle continue - ses yeux posés sur la cigarette de l'autre ; « Ceci dit, t'as pas l'air totalement coréen. Tu fumes, tu serres la main d'une nana sans rougir ou bégayer. » Analyse Sojrarienne. « T'es quelque chose comme un mec de l'underground ? »

« De Norvège. » qu’il répète dans sa surprise, écarquillant ses yeux dans un petit mouvement de recul. Il scrute son visage comme s’il allait y trouver un indice qu’il n’aurait pas vu auparavant et qui aurait pu lui faire deviner ses origines mais il n’y a évidemment rien puisqu’elle est coréenne, comme elle l’affirme de ses propres mots. « T’aimes les bananes au moins ? » à défaut d’en avoir quelque chose d’identifiable elle peut au moins apprécier la saveur d’une bonne banane des îles. « C’est MA technique de drague. » qu’il affirme en se pointant lui-même du doigt, un léger sourire amusé sur le bout des lèvres. Il lâche aussi un rire dans son opération séduction pour concorder avec celui de l’inconnue. Son regard se porte sur sa cigarette lorsqu’elle évoque l’anormalité de sa situation qui, lui, lui semble tout à fait correcte. La pauvre n’a pas encore dû rencontrer un seul ilgagsu, il ne peut que compatir. « C’est vrai ça. Mais je peux bagayer si ça te mets plus à l’aise. » et il joint ses mains sur ses joues avec un grand sourire qui sonne faux, comme le ferait un mec chelou qui tente un aegyo. Exactement ce qu’il est. « Oui je suis de l’underground. » Il se fou un peu de sa gueule, hein, juste un peu, mais ça le fait juste trop rire. « Si t’as besoin de thunes dis moi je te fais rejoindre mes mules. » qu’il balance en toute sérénité comme un vieux dealer de drogue mexicain. « T’es arrivée quand ici ? No offense mais tu m’as l’air un peu duper. Genre plus que moi. » ce qui est déjà quelque chose en soit.

Moue réprobatrice, Sojra perd une moitié d'amusement en écoutant l'homme - ouais, il est mignon, mais un peu trop taquin. Oh, loin d'être blessée, la poupée croise ses jambes, dans un geste presque gracile - et ses yeux jaugent le garçon, qui fait défiler les mots et les accents, qui casse et trépasse, et, son menton appuyée contre sa main, elle l'observe, silencieuse, presque neutre - humeur changeante, la petite. Ses sourcils se froncent et se défroncent - y'a des mots qui resteront un mystère pour elle, et elle est presque sûre, d'après sa méfiance, qu'il la taquine sur le dit underground. Loin d'être sotte, elle tend une main, toujours aussi peu gênée, pour tapoter la joue de l'autre. « Alors primo, des mules, c'est quoi ? » Sa lèvre s'hausse et son sourcil se fronce - elle penche sa tête sur le côté, et la voilà qui fait l'expressive. « Secondo, j'aime les bananes. » Elle lève trois doigts (index, majeur, annulaire, comprendra qui pourra). « Et enfin ; j'suis là depuis pas si longtemps que ça mais, le dire est plutôt inutile - je pense que tu vas l'oublier dans deux secondes. » Rire, moqueur, un peu, elle tapote son épaule, le secoue un peu, avant de lui offrir son profil - y'a des passants et, elle est un peu vieille sur les bords, la cocote, donc elle les regarde. « Aussi, essaye même pas d'me faire croire que t'es un illuminé. » A comprendre : qu'il évite de la taquiner avec des mensonges - mais encore une fois, si Sojra est sérieuse ou taquine, difficile à dire. Pour preuve, elle tente un regard sérieux, brûlant, mais, deux secondes après, un sourire déchire ses lèvres. « T'as l'air aussi doux qu'une peluche, t'en as conscience ? » Une main dans ses cheveux, elle fout sa frange en bordel, et elle souffle, encore, pour s'avachir un peu plus sur le banc, ses mains posées sur ses cuisses. « T'es de quelle fraternité ? T'es certainement pas un cheonchin, je les ai tous vu. Peut-être un saja ? Ouais, non, t'es aussi maigrelet que moi. Ilgagsu, c'est ça ? Ou Dogsuli, mais t'as pas la tête de l'emploi. »

Ah ouais la meuf lui fait un décompte. Un, deux, trois sans pression comme une mercenaire complètement frigide. Faut qu’il mémorise Lenny, cimer. Mais il croit pouvoir y arriver. « Primo les mules c’est les filles à l’allure innocente et graciles qui transportent la drogue en les ingurgitant pour mieux passer les douanes. » Il tire tranquillement sur sa clope pour se remettre de ses explications presque dignes d’un prof d’espagnol et continue, recrachant sa fumée. « Secondo merci tu me rassures.» qui n’aimait pas les bananes ne pouvait pas être son ami, il y avait certains critères à remplir pour être son pote fallait pas croire. « Tercio je jure de m’en souvenir si tu me le dis. » Il ne cessera jamais d’être surpris par sa capacité à passer pour un imbécile même auprès des plus grands inconnus. Il passe au-dessus, ça ne semble pas avoir été une faiblesse jusqu’à maintenant. Portant la main à son cœur en guise de promesse, il s’indigne tout de même de la moquerie douce-amère de la belle. « Dis donc j’ai compris que tu me prenais pour un con mais calme toi on est pas encore intimes. » Il la pointe du doigt, un sourcil froncé sous l’agression gratos de la nouvelle. Elle est mignonne mais faut se calmer, il est trop sobre pour se marrer à tout là Lenny. Au lieu de ça il porte sa clope à ses lèvres une nouvelle fois avant qu’elle ne le compare à une peluche, suite à quoi il arque un sourcil avec un regard en coin. Pas le temps de réagir qu’elle fou le bordel dans ses cheveux. Putain. «C’est aussi doux qu’une peluche alors ? C’est lavé avec Mire Laine. » Qu’elle s’en donne à cœur joie c’est cadeau, trop peace pour s’emballer pour une fois. Il a même l’impression de devenir intelligent avec sa déduction galactique. « Donc t’es une cheonchin. Chelou toi un peu. » Elle a tout sauf l’attitude typique de Cheon, alias coinssos ciaos. Elle débite trop vite pour lui faut qu’il se concentre c’est chaud. Elle a bien de la chance d’être tombée un jour où il voit le ciel dans sa véritable couleur. « Et pourquoi j’pourrais pas être un Dogsuli Sherlock? » Il l’observe avec un sourire en coin, hater de cette fraternité dans laquelle il a failli mettre les pieds à son arrivée. Finalement les Ilgagsu s’étaient révélés être un bien meilleur choix, parfait pour s’enfoncer un peu plus dans le grand bordel de sa vie.